Mathématiques en Mésopotamie

Piste bleue Le 14 avril 2014  - Ecrit par  Proust, Christine Voir les commentaires (1)

L’histoire des sciences anciennes aurait dû connaître une véritable révolution avec la parution, dans les années 1930-40, des premières grandes éditions de textes mathématiques cunéiformes par François Thureau-Dangin et Otto Neugebauer. Ces éditions de textes très anciens, remontant pour la plupart au début du deuxième millénaire avant notre ère, faisaient découvrir à la communauté scientifique l’existence de mathématiques hautement élaborées précédant de plus de mille ans les Éléments d’Euclide. Cependant, force est de constater que ces éditions n’ont eu en fait qu’un impact limité en dehors d’un petit cercle de spécialistes. L’idée selon laquelle les mathématiques commencent avec Thalès et Pythagore est encore largement dominante. D’où vient une telle résistance à l’évidence des sources ?

L’histoire des sciences anciennes aurait dû connaître une véritable révolution avec la parution, dans les années 1930-40, des premières grandes éditions de textes mathématiques cunéiformes publiées par François Thureau-Dangin et Otto Neugebauer (Thureau-Dangin 1938 ; Neugebauer 1935-37 ; Neugebauer & Sachs 1945).

François Thureau-Dangin (1872-1944)
Otto Neugebauer (1899-1990)
Plus de détails ici

Ces éditions de textes très anciens, remontant pour la plupart au début du deuxième millénaire avant notre ère, faisaient découvrir à la communauté scientifique l’existence de mathématiques hautement élaborées précédant de plus de mille ans les Éléments d’Euclide. Cependant, force est de constater que ces éditions n’ont eu en fait qu’un impact limité en dehors d’un petit cercle de spécialistes. L’idée selon laquelle les mathématiques commencent avec Thalès et Pythagore est encore largement dominante. D’où vient une telle résistance à l’évidence des sources ?

La raison profonde, telle qu’elle a été diagnostiquée par Karine Chemla, réside dans la prégnance de l’idée que la preuve mathématique est une invention grecque (Chemla 2012a). La question est donc celle de l’existence non seulement de traditions mathématiques en dehors de celles qui se revendiquent de l’héritage grec, mais aussi de pratiques de la preuve autres que celle des Éléments d’Euclide. De ce point de vue, c’est un deuxième bouleversement que déclenchait Jens Høyrup avec ses travaux sur la nature des raisonnements dans les mathématiques cunéiformes (Høyrup 1990 ; Høyrup 2012 ; Høyrup 2002 = LWS dans la suite). Ces travaux ont joué un rôle important dans le mouvement qui est en train de renouveler en profondeur l’approche des mathématiques anciennes, notamment celles dont témoignent les textes écrits en Chine, dans le sous-continent indien, dans le Proche Orient Ancien et en Méditerranée Orientale (Chemla 2012b ; voir aussi le projet européen SAW [1]).

Notation sexagésimale positionnelle (Ist Ni 10245, courtoisie Musée Archéologique d’Istanbul, photo C. Proust)

Une des caractéristiques les plus frappantes des mathématiques de Mésopotamie est l’usage d’une numération sexagésimale positionnelle.

Plus de détails sur la numération sexagésimale positionnelle

(extrait de Proust 2013 , p. 44)

La notation sexagésimale positionnelle des textes cunéiformes utilise deux signes : le clou (1) et le chevron (10) – voir ci-dessous.

Les « chiffres » sexagésimaux de 1 à 59 sont écrits par juxtaposition de 1 et de 10 autant de fois que nécessaire (notation décimale additive).

  • Exemple

    Transcription 26

Dans un nombre à plusieurs positions sexagésimales, un signe écrit dans une position vaut soixante fois plus que le même signe écrit dans la position précédente (i. e. placé à sa droite).

  • Exemple

    Transcription 24:46

Dans la transcription, il est commode d’utiliser la marque «  : » pour séparer les positions sexagésimales, comme dans les compteurs de temps modernes.
Il n’existe pas dans la notation cunéiforme de signe équivalent à ceux que nous utilisons pour indiquer la position des unités dans le nombre (par exemple, les zéros en position finale, comme dans « 1000 », ou la virgule séparer la partie entière de la partie fractionnaire dans un nombre comme dans « 3,14 »).
Comme la notation cunéiforme n’indique pas la position des unités dans le nombre : le signe

représente indifféremment les nombres que nous écrivons 1, ou 60, ou 3600, ou 1/60, etc. en base dix, ou bien 1, ou 1:0, ou 1:0:0 ou 0 ;1 etc. en base soixante.
L’absence d’une position médiane était parfois, à l’époque paléo-babylonienne, indiquée par un espace vide ou, dans les époques ultérieures, par un signe de séparation :

L’usage de cette notation semble avoir été limité aux activités mathématiques puisqu’on n’en trouve que très peu de traces dans les autres genres de textes, par exemple administratifs ou commerciaux. La notation sexagésimale positionnelle est apparue vers la fin du troisième millénaire dans des tables d’inverses provenant de Mésopotamie du Sud, et a été utilisée en mathématiques, et plus tard en astronomie, jusqu’à la disparition de l’écriture cunéiforme au début de notre ère. La notation sexagésimale positionnelle héritée du Proche Orient cunéiforme a par la suite été utilisée, sous des formes diverses, dans les traités d’astronomie en langues grecque, latine, arabe, syriaque, hébraïque, sanskrite, chinoise, et bien d’autres, y compris les langues européennes modernes jusqu’à une époque récente. Le système sexagésimal est pratiqué encore aujourd’hui dans la mesure du temps et des angles.

1. Les sources : silence et abondance

Les sources qui nous documentent aujourd’hui sur les mathématiques cunéiformes sont très inégalement distribuées dans le temps et dans l’espace. L’immense majorité des documents connus date de l’époque paléo-babylonienne, c’est-à-dire du début du deuxième millénaire avant notre ère. Cependant, quelques petits lots plus anciens, datant du 3e millénaire, ou plus récents, datant du premier millénaire, ont une importance historique particulière car ils éclairent des contextes de production des textes mathématiques tout à fait différents de ceux de l’époque paléo-babylonienne.

Ici une brève chronologie de la Mésopotamie ancienne

(Pour toutes les dates, « avant notre ère » est sous-entendu).

Dynasties archaïquesIII 2600-2340
Epoque Sargonique 2340-2200
IIIe Dynastie d’Ur (= Ur III) 2100-2000
Epoque paléo-babylonienne 1900-1600
Epoque achéménide 547-331
Epoque séleucide (= hellénistique) 323-63

Pour une chronologie plus développée, vous pouvez aller

La provenance des tablettes mathématiques publiées avant 1945 est le plus souvent inconnue. La plupart d’entre elles ont été exhumées au début du XXe siècle lors de fouilles clandestines et ont circulé de façon opaque sur le marché des antiquités pour finalement être achetées à des marchands d’antiquités par des collectionneurs privés ou par des musées européens et américains. Cette importance du commerce des antiquités dans la constitution des collections se traduit, dans les premières éditions de textes mathématiques cunéiformes, par le fait que les tablettes sont classées par numéro d’inventaire des musées et non par origine. L’activité des filières clandestines n’a guère diminué depuis, et, parmi les éditions récentes, les sources d’origine inconnue restent fréquentes (les tablettes mathématiques de la Schøyen Collection, publiées par Friberg en 2007, constituent le lot le plus important). En revanche, les tablettes mathématiques conservées dans certains musées, comme Istanbul, Bagdad, Philadelphie ou Chicago, sont le plus souvent de provenances connues puisqu’elles sont issues de fouilles légales, notamment des fouilles américaines à Nippur.

La répartition géographique des tablettes de provenance identifiée varie considérablement selon les périodes. Les rares tablettes mathématiques datant du troisième millénaire parvenues jusqu’à nous semblent provenir d’une aire restreinte, située au cœur de la Mésopotamie suméro-akkadienne. A l’inverse, les sites ayant livré des documents mathématiques datant de l’époque paléo-babylonienne couvrent une immense aire géographique. Ces provenances reflètent la cartographie de l’expansion des écoles de scribes : ce sont non seulement les villes du sud comme Nippur et Ur, du centre de la plaine mésopotamienne comme Kiš, Sippar ou Babylone, mais aussi des cités situées en Iran comme Suse, en Syrie comme Mari, et dans les régions septentrionales comme celles de la vallée de la Diyāla, affluent du Tigre (ancien royaume d’Ešnunna). Par un nouveau contraste, les sources mathématiques des époques les plus tardives (séleucide) sont concentrées dans deux cités seulement, Uruk et Babylone, plus précisément dans les grandes bibliothèques des familles de prêtres spécialisés dans les sciences astrales.

Proche Orient à l’époque paléo-babylonienne : localisation des tablettes mathématiques et scolaires (Carte dessinée par Martin Sauvage, publiée dans Proust 2007, p. 281)

Le corpus des tablettes mathématiques connues s’est accru de façon spectaculaire ces dernières années avec la publication systématique des tablettes scolaires accumulées dans les réserves des musées depuis le début des fouilles en Irak. Grâce à l’afflux récent des tablettes scolaires, le nombre de tablettes contenant des textes mathématiques publiées à ce jour dépasse les 1800. Quelques centaines restent encore inédites, notamment parmi les tablettes scolaires qui sont conservées dans les réserves des musées de Chicago, Philadelphie, Istanbul, Damas et Yale, ainsi probablement qu’à Bagdad, si bien que le nombre de tablettes mathématiques exhumées dépasse sans doute aujourd’hui les 2000.

2. Perceptions des « mathématiques babyloniennes » : de l’uniformité à la diversité

Les premières grandes éditions de textes, en même temps qu’elles faisaient connaître les mathématiques cunéiformes aux historiens des sciences anciennes, en livraient une image qui devait marquer l’histoire des mathématiques au 20e siècle. Une approche modernisée de l’interprétation, essentiellement basée sur les outils de l’algèbre du 20e siècle, a eu pour conséquence une vision unificatrice de « la mathématique babylonienne » pour reprendre l’expression de Thureau-Dangin (TMB : ix). Cette historiographie est longuement analysée dans Høyrup 1996

Comme indiqué en introduction, Høyrup a renouvelé la méthodologie de l’interprétation des textes mathématiques anciens. Pour résumer très brièvement son point de vue, le mieux est de s’appuyer sur le texte qu’il prend lui-même souvent en exemple, le problème 1 de la tablette paléo-babylonienne BM 13901 (voir photo ) qui contient 24 problèmes relatifs à des rectangles et des carrés. La différence entre l’approche de Høyrup, et celle de Thureau-Dangin, apparaît clairement si l’on compare leurs traductions, et les interprétations qui en découlent.

Traduction du problème 1 de BM 13901 #1 par Thureau-Dangin (1936 : 1)
J’ai additionné la surface et le côté de mon carré : 45′. 
Tu poseras 1, l’unité. Tu fractionneras en deux 1 : (30′). Tu croiseras [30′] et 30′ : 15′. Tu ajouteras 15′ à 45′ : 1. C’est le carré de 1. Tu soustrairas 30′, que tu as croisé, de 1 : 30′, le côté du carré.

Traduction du problème 1 de BM 13901 #1 par Hoyrup (2010 : 39)
1. La surface et ma confrontation j’ai empilées : 45′. 1, le forjet,
2. tu poses. La demi-part de 1 tu brises, 30′ et 30′ fais tenir. 
3. 15′ à 45′ tu ajoutes : auprès de 1, 1 est égal. 30′ que tu as fais tenir
4. de l’intérieur de 1 tu arraches : 30′ est la confrontation.

Explication de l’interprétation de Jens Høyrup

Jens Høyrup essaie de suivre à la lettre les manipulations suggérées par le texte : joindre une surface et un côté, couper, recoller, croiser des côtés pour faire un carré, arracher une portion de segment (soustraction). Le forjet (watsitum en Akkadien) semble désigner la dimension de longueur 1 adjointe au côté, qui permet de l’ajouter à la surface. Le côté inconnu est noté s.

1- Le rectangle de dimensions 1 et s (1 est le forjet et s est le côté du carré inconnu) est collé au carré ; l’aire totale est 45’.

2- Le rectangle est divisé en 2, et les deux moitiés sont croisées (placées en position de gnomon). Par complétion du gnomon, il se forme un nouveau petit carré d’aire 30’x30’=15’.

3- L’aire du grand carré est l’aire du gnomon, 45’, plus l’aire du petit carré, 15’, c’est-à-dire 15’ + 45’ = 1
Le côté de ce grand carré d’aire 1 est 1.

4- Ce côté est composé du côté s et du côté 30’, donc s = 1 – 30’ = 30’.
(Naturellement, cette méthode géométrique ne permet de déterminer que la racine positive).

Comme on le voit sur les traductions, Thureau-Dangin privilégie l’élégance et la clarté pour un lecteur moderne, et Høyrup privilégie la fidélité au texte. L’aspect visuel de leurs interprétations suffit à montrer en quoi elles divergent (Table 1). Ces divergences concernent non pas la reconstitution des étapes du calcul, qui sont au fond identiques dans les deux cas, mais le raisonnement sous-jacent qui guide la procédure. L’interprétation de Høyrup est essentiellement basée sur un examen attentif du vocabulaire donnant lieu à une traduction mot-à-mot qui reflète les nuances du vocabulaire. Par exemple, dans une interprétation moderne, l’opération d’addition est uniforme ; elle est dénotée dans les formules par le signe « + », quelle que soit la nature des termes ajoutés. Or si on examine le texte akkadien « l’addition » est exprimée par des verbes différents à la ligne 1 (kamārum, traduit « empiler » par Høyrup et « additionner » par Thureau-Dangin) et à la ligne 3 (waṣābum, traduit « ajouter » par les deux auteurs). De même, la multiplication est exprimée différemment à la ligne 2 (šutakūlum, traduit « faire tenir » par Høyrup) et dans d’autres textes mathématiques, par exemple dans les tables de multiplication. C’est à ces différences, effacées par la lecture algébrique moderne, que Høyrup essaie de donner un sens. Il émerge de sa lecture la reconstitution d’un raisonnement appuyé sur des configurations géométriques, et, ce faisant, les linéaments d’une démonstration. Ainsi, la procédure fournit à la fois les étapes du calcul qui conduit à la solution, et la justification de chacune des opérations par leur représentation géométrique. Autrement dit, en rendant le raisonnement transparent, la procédure inclut sa propre justification (Høyrup 2012 : 380 ; Chemla 2012a : 40). 

Une autre caractéristique de l’image des mathématiques cunéiformes léguée par les pionniers est celle de son homogénéité. Cette vision n’est pas seulement due au fait, souligné ci-dessus, que l’algébrisation efface les singularités. Elle est aussi due à une particularité des textes eux-mêmes : quels que soient leur origine géographique, leur contenu, leur structure ou leurs thématiques, les textes mathématiques utilisent les mêmes unités de mesure et les mêmes notations métrologiques et numériques, tout au moins pour ce qui concerne le corpus d’époque paléo-babylonienne. La grande régularité des notations numériques et métrologiques, ainsi que des considérations sur le style d’écriture, ont conduit Neugebauer et Sachs à penser que les textes mathématiques avancés provenaient d’un nombre très réduit de sites différents. 

Tables métrologiques et numériques (AO 8865, courtoisie Musée du Louvre, photo C. Proust).

Un autre biais introduit par Neugebauer et Sachs (ainsi que, dans une moindre mesure, par Thureau-Dangin) est celui du choix des textes considérés comme « véritablement mathématiques ». Dans ses éditions, Neugebauer distingue les « tables » et les « textes réellement mathématiques ». Parmi les tables, seules les tables numériques sont prises en compte. Cette définition restrictive des mathématiques a conduit Neugebauer à éliminer les textes métrologiques, c’est-à-dire les textes qui définissent les unités de mesure, du corpus des textes mathématiques dignes d’être pris en considération. Les études ultérieures ont montré pourtant que les textes métrologiques non seulement sont inséparables des autres textes mathématiques, comme Neugebauer le souligne lui-même, mais surtout qu’ils sont une source clé pour comprendre les pratiques de calcul et les conceptions des nombres propres aux mathématiques. [2]
De plus, ces tables sont indispensables à la reconstitution du curriculum de formation des scribes.

Les tablettes scolaires mathématiques ont longtemps été oubliées dans les réserves des musées car considérées comme peu intéressantes. Répétitives et élémentaires, elles n’offraient guère l’espoir à leurs éventuels déchiffreurs de découvrir, comme à l’époque de Neugebauer et Thureau-Dangin, des nouveautés mathématiques sensationnelles. En revanche, les tablettes scolaires lexicales et littéraires, ont fait l’objet de nombreuses études au cours des dernière décennies, d’abord en liaison avec la lexicographie sumérienne, et plus récemment avec l’étude par Veldhuis de l’enseignement à Nippur (Veldhuis 1997). L’étude par Robson des tablettes de la maison F de Nippur (Robson 2001 ; Robson 2002) réunifiait pour la première fois les aspects littéraires et mathématiques de la formation des scribes. Ces études ont montré que l’intérêt des tablettes scolaires ne réside pas seulement dans leurs contenus, lexicaux ou mathématiques, mais aussi dans les informations qu’elles livrent sur l’univers des écoles de scribes, ou Edubba en sumérien (mot à mot « maison des tablettes »). Mais l’intérêt des textes scolaires va bien au-delà. Examiner soigneusement les textes scolaires, c’est découvrir de nouvelles clés d’interprétation des mathématiques cunéiformes de niveau avancé. En effet, les exercices pédagogiques permettent à l’historien moderne de percevoir les concepts mathématiques que les maîtres anciens considéraient comme fondamentaux. L’interprétation des écrits des érudits s’en trouve renouvelée car il devient possible au lecteur moderne d’utiliser les concepts mêmes qui ont été enseignés aux auteurs des textes anciens (Proust 2007).

Exercice de calcul de surface, Nippur, époque paléo-babylonienne (Ist Ni 18, courtoisie Musée archéologique d’Istanbul, photo C. Proust)

3. Mathématiques dans l’Edubba

Le contexte des mathématiques à l’époque paléo-babylonienne est celui des écoles de scribes. En effet, là où on a trouvé des textes mathématiques en contexte archéologique clair, on a aussi trouvé des textes d’apprentissage de niveau élémentaire. Cependant, cela ne signifie pas que les textes mathématiques n’ont été écrits que dans le seul but d’enseigner les mathématiques. S’il est probable que les auteurs des textes mathématiques avaient des charges d’enseignement, on manque d’informations permettant de préciser leurs fonctions exactes dans, et éventuellement hors de, l’école, ainsi que leurs motivations. On ne peut exclure que les « maîtres » aient pu se consacrer à d’autres activités mathématiques que la préparation des exercices pour leurs étudiants, ou que leurs motivations aient pu être beaucoup plus larges et diverses que l’enseignement.

Quartier des scribes à Nippur.

Presque toutes les écoles du Proche Orient Ancien intégraient les mathématiques dans le curriculum de formation, tout au moins à l’époque paléo-babylonienne. Cependant, l’enseignement en général, et l’enseignement des mathématiques en particulier, semblent avoir pris des formes diverses. À certains endroits, l’enseignement avait lieu dans le cadre familial et se limitait à la transmission des fondamentaux de l’art du scribe, comme peut-être à Sippar (Tanret 2002) ou dans une des écoles d’Ur (Charpin 1986 : 420-486). À Nippur, où on a trouvé une énorme quantité de textes scolaires, dont plus de mille contiennent des exercices mathématiques, les écoles ont dû fonctionner à une beaucoup plus grande échelle. La présence de textes d’érudition, littéraire et mathématiques, laisse penser que ces écoles étaient aussi des centres de la vie intellectuelle. Le cas d’un lot de tablettes de Tell Haddad trouvé dans un locus de l’Aire II, qui inclut des documents administratifs, des contrats, des lettres, des tablettes scolaires mathématiques et lexicales, de la littérature sumérienne, des textes liturgiques et magiques, pourrait témoigner d’un enseignement adossé à une bibliothèque, avec une composante professionnelle tournée vers la liturgie (Cavigneaux 1999). Dans d’autres contextes encore, par exemple dans les milieux de marchand assyriens, la formation passait essentiellement par la pratique du métier (Michel 2008). Il pouvait arriver que des prêtres jouent un rôle dans la formation (voir les cas d’Ur et de Tell Haddad cités ci-dessus). Mais ce n’était souvent pas le cas, et certaines écoles semblent même avoir revendiqué leur indépendance par rapport au clergé, comme en témoigne ce proverbe trouvé à Nippur et à Ur (Alster 1997 : I, 55 ; II, 365, collection 2, n°54 ; sources [UET 6/2, 267] et [Ist Ni 5376]) :

Le scribe déchu devient prêtre (dub-sar pe-el-la2 lu2-mu7-mu7-a-kam)

Liste de proverbes, Nippur, époque paléo-babylonienne (Ist Ni 7376, courtoisie Musée archéologique d’Istanbul, copie C. Proust). Le proverbe « Le scribe déchu devient prêtre » se trouve dans la troisième ligne en partant du bas.

Il est donc impossible de décrire l’école paléo-babylonienne et la place des mathématiques en son sein de façon générale. Un examen au cas par cas est nécessaire, et ne permet que des conclusions locales.

S’il est facile de reconnaître les tablettes contenant des exercices d’écoliers à leur typologie et à leur contenu stéréotypé, il est beaucoup plus difficile de distinguer les travaux d’étudiants avancés des documents de maîtres, ou de reconnaître si les maîtres ont écrit pour leurs étudiants, ou pour leurs pairs, ou pour un autre type d’audience. Par ailleurs, les traditions mathématiques en Mésopotamie, en Iran et en Syrie ont sans doute été beaucoup plus diverses que ce que pensait Neugebauer. En conclusion, il faut souligner le contraste entre le caractère stéréotypé de l’enseignement des mathématiques au niveau élémentaire, manifestement marqué par l’influence de Nippur, et la diversité des traditions mathématiques développées dans différentes régions ou différents milieux.

4. Traditions méridionales : contrastes et couleurs

Saisir la diversité des pratiques suppose de pouvoir classer l’ensemble du matériel mathématique selon des critères tels que la datation, la provenance, ou le milieu social qui a produit les textes. Mais cette opération de classification est rendue fort délicate par l’absence de contexte archéologique connu pour la majorité des sources. Cependant, des particularités géographiques ont pu être mises en évidence. L’assyriologue Albrecht Goetze, avec son chapitre sur The Akkadian Dialects of the Old-Babylonian Mathematical Texts (Neugebauer & Sachs 1945, ch. IV) a été le premier à distinguer clairement des éléments de différenciation parmi les écrits mathématiques d’époque paléo-babylonienne, et à définir plusieurs groupes méridionaux et septentrionaux. [3]

Une classification selon le contenu, qu’il soit thématique, stylistique ou mathématique, présente l’inconvénient de refléter davantage les catégories des historiens modernes que celles des acteurs anciens. Plus intéressant à mon sens est d’essayer de mettre en évidence des catégories reconnues comme telles par les acteurs anciens. C’est ce que permettent certains textes mathématiques qui contiennent des « catalogues », c’est-à-dire de longues listes d’énoncés de problèmes. Ces catalogues, notamment un petit groupe très homogène conservé à l’Université Yale (tableau 1), pourraient refléter une classification thématique des mathématiques développées dans le sud avant le milieu du 18e siècle. Cette classification est la suivante : problèmes de champs, de briques, de pierres, de tranchées, et de rigoles – voir tableau 1.

N° inventaireContenu
YBC 4612 15 énoncés de problèmes de champs
YBC 6492 24 énoncés de problèmes de champs
YBC 4607 10 énoncés de problèmes de briques
YBC 4652 22 énoncés de problèmes de pierres
YBC 4657 31 énoncés de problèmes de tranchées
YBC 5037 44 énoncés de problèmes de tranchées
YBC 4666 26 énoncés de problèmes de rigoles
Tableau 1 : catalogues mathématiques conservés à Yale

Il est probable qu’en fait, les catalogues ne représentent pas l’ensemble des mathématiques cunéiformes d’époque paléo-babylonienne, mais seulement une tradition particulière, celle du sud des époques précoces, ou même seulement celle de la communauté de scribes dans lesquels ils avaient été élaborés. De plus, il y a peu de chances que tous les catalogues aient été retrouvés. La classification du tableau 1 ne couvre qu’une partie des thèmes qui ont inspiré des sujets de problèmes à l’époque paléo-babyloniennes. Manquent par exemple les sujets économiques (prix du marché, bénéfice, intérêts), qui sont, en revanche, attestés dans d’autres textes (voir Middeke-Conlin & Proust 2014), les problèmes relatifs aux polygones analogues ceux ont été découverts à Suse (voir Bruins & Rutten 1961 et Brette 2013 ), ou les problèmes d’équipartition du trapèze (voir Proust 2012).

Liste de problèmes relatifs au creusement des canaux, époque paléo-babylonienne (YBC 4663, courtoisie Yale Babylonian Collection, photo C. Proust).

Champs, briques, pierres, tranchées, rigoles : cette énumération laisse penser que les problèmes mathématiques n’étaient pas sans rapport avec ceux de la vie réelle. Et de fait, les données numériques utilisées dans les énoncés des problèmes semblent bien correspondre à celles de la réalité. Par exemple, les dimensions des cinq modèles de briques utilisés dans la tablette YBC 4607 (voir tableau 1) correspondent bien aux dimensions des briques effectivement utilisées dans la construction en Mésopotamie (Sauvage 1998 : 134-135). Ces données apparaissent également dans les listes de coefficients nécessaires aux calculs des bâtisseurs Robson 1999). Mais le caractère réaliste des données numériques de certains problèmes ne fait pas des mathématiques cunéiformes des mathématiques appliquées. D’abord parce que dans certains problèmes les situations décrites sont abstraites, et le vocabulaire utilisé pour résoudre le problème est un vocabulaire technique artificiel, élaboré seulement pour les mathématiques (Høyrup 2006). Les opérations mises en œuvre dans la procédure agissent sur les nombres écrits en notation sexagésimale positionnelle, numération que seuls les érudits, essentiellement les maîtres et les étudiants des Edubba, semblent avoir utilisée. Ensuite, même lorsque les énoncés intègrent des éléments du réel, la situation décrite peut être passablement artificielle. Pour illustrer cette fantaisie, voici le problème 9 du catalogue YBC 4652 (cité dans le tableau 1 ; voir aussi Melville 2002) :

YBC 4652 #9
14. J’ai trouvé une pierre. Son poids je ne connais pas. 1/7 j’ai soustrait, puis 1/11 j’ai ajouté,
15. puis 1/13 j’ai soustrait. J’ai pesé : 1 mana (env. 500g). Le poids initial combien ?
16. Le poids initial 1 mana 9 1/2 gin 2 1/2 še (env. 580 g).

Une partie importante des textes mathématiques portent sur des algorithmes de calcul numérique qui exploitent les ressources de la base 60, riche en diviseurs. Le plus courant de ces algorithmes est celui qui permettait de factoriser des nombres pour calculer des inverses, des racines carrées ou des racines cubiques. Des versions simples de cet algorithme sont abondamment attestées dans les tablettes scolaires de Nippur, Ur et Mari. Dans la tablette CBS 1215, de provenance inconnue mais probablement méridionale, on trouve une version très élaborée de cet algorithme (Sachs 1947 ; voir transcription ). Ce texte fait apparaître de façon transparente, par la mise en page des calculs et le choix des valeurs numériques, le fonctionnement de l’algorithme et les propriétés arithmétiques fondamentales sur lesquelles il s’appuie : un diviseur régulier d’un nombre se voit sur les derniers chiffres de ce nombre ; l’inverse d’un produit est le produit des inverses ; l’inverse de l’inverse d’un nombre est ce nombre lui-même (détails dans Proust 2012).

Une autre tablette, d’origine probablement méridionale, témoignant de l’utilisation d’algorithmes numériques sophistiqués est la fameuse tablette Plimpton 322, connue largement au-delà du cercle des spécialistes, notamment chez les mathématiciens qui en ont fait leurs délices. Cette tablette a fait l’objet d’une abondante littérature (voir par exemple les approches opposées de Robson 2002 et de Britton 2011, ainsi que la bibliographie fournie par ces publications). Images de Maths consacrera prochainement un article à cette star des mathématiques cunéiformes.

Liste de triplets pythagoriciens (Plimpton 322, courtoisie Rare Book & Manuscript Library, Université de Columbia, photo C. Proust).

Les maîtres des Edubba du Sud se présentent sous le jour de savants inventifs et peu préoccupés des vicissitudes quotidiennes, mais bon connaisseurs des affaires de la cité. Les relations qui ont pu exister entre les milieux de savants, probablement liés aux écoles de scribes, et des milieux en charge du contrôle des terres, de la planification du travail, des grands travaux, des ouvrages militaires, des échanges commerciaux ou des affaires juridiques restent à décrire dans toute leur complexité. D’autres milieux d’érudits, dont la culture mathématique était sensiblement différente de celle des savants actifs dans les cités méridionales, ont exploré d’autres idées originales dans divers centres, par exemple dans la région de Suse en Iran, ou dans la vallée de la Diyāla.

5. Donner du sens à une constellation de détails insignifiants

L’historiographie récente a considérablement enrichi notre connaissance des mathématiques cunéiformes en multipliant les points de vue, mais elle a aussi accentué les dynamiques divergentes entre les approches mathématiciennes et historiennes. La difficulté – et le défi – sera, pour les historiens des mathématiques du Proche Orient Ancien, de dépasser cette opposition, parfois réduite de façon quelque peu simpliste à une dichotomie entre « internalistes » et « externalistes ». En particulier, il reste à mieux articuler la façon dont les différents types d’indices livrés par nos sources, qu’ils soient mathématiques, philologiques, matériels, archéologiques, historiques ou historiographiques, sont analysés et exploités.

Les pionniers nous ont légué un matériel considérable nous documentant sur les mathématiques les plus anciennes qui nous soient connues, mais aussi une vision faisant apparaître ces mathématiques comme un ensemble homogène et relativement uniforme. Les efforts accomplis par la suite ont contribué à améliorer la compréhension à la fois du contenu et du contexte de production des mathématiques en Mésopotamie, en Elam et en Syrie. Il en ressort une image de plus en plus contrastée des pratiques mathématiques, où apparaissent non seulement des particularités régionales, mais aussi des spécificités attachées à des groupes sociaux ou des évolutions chronologiques de courte portée. On ne peut plus aujourd’hui décrire d’une façon générale les « mathématiques babyloniennes », ni même les mathématiques d’époque paléo-babylonienne. Ce sont les multiples traditions qui se croisent, se fécondent, se chevauchent ou divergent qu’il s’agit maintenant de mieux discerner et analyser.

Bibliographie

Britton, John P., Proust, Christine & Shnider, Steve. 2011. « Plimpton 322 : a review and a different perspective. » Archive for History of Exact Sciences 65, no. 5 : 519-66.

Bruins, Evert M., & Marguerite Rutten. 1961. Textes mathématiques de Suse, Mémoires de la mission archéologique en Iran. Paris : Geuthner.

Cavigneaux, Antoine. 1999. « A scholar’s Library in Meturan ? » In Mesopotamian Magic, edited by Tzivi Abusch and Karel van der Toorn, 251-73. Groningen : Styx Publications.

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Post-scriptum :

Un certain nombre de personnes - relecteurs, éditeurs, responsables d’Images de Maths - ont contribué à la publication et la relecture de ce texte.
Qu’ils soient tous chaleureusement remerciés pour les améliorations qu’ils ont permis d’apporter à l’article et à sa mise en forme. Par ordre d’entrée en scène :
Hélène Gispert, Marc Moyon, Carole Gaboriau, Mai Huong Pham-Sauvageot, Olivier Reboux, Xavier Buff, Simon Billouet,
Thomas Sauvaget et Walter.

Article édité par Proust, Christine

Notes

[1Cet article a été écrit dans le cadre du projet européen SAW (Mathematical Sciences in the Ancient World, European Research Council Advanced Grant 2010 conduit par Karine Chemla, ERC Grant agreement n. 269804) dont il reprend quelques problématiques importantes. Une version plus développée en anglais paraîtra sous la rubrique « Mathematics » dans A Handbook of Ancient Mesopotamia, ouvrage collectif dirigé par Gonzalo Rubio (De Gruyter). Pour plus d’information sur les tablettes cunéiformes citées (bibliographie, provenance, datation, éventuellement photo et/ou copies), des liens renvoient vers la fiche correspondante du CDLI (Cuneiform Digital Library Initiative).

[2Parmi les textes métrologiques, ceux que les historiens appellent des « tables métrologiques » sont particulièrement importants car ces tables établissent une correspondance entre les mesures de grandeur (longueurs, surfaces, volumes, capacités, poids) et la notation sexagésimale positionnelle utilisée dans les calculs. Pour plus d’explications sur ce sujet, voir Proust 2013.

[3Høyrup (LWS, ch. IX) a développé l’idée de Goetze en raffinant la définition de ces groupes et en s’appuyant sur les données nouvelles apportées par la découverte des textes mathématiques de la vallée de la Diyāla et de Suse. Il a repris les critères phonologiques et orthographiques de Goetze en les reconsidérant d’un point de vue épistémologique plus large. Enfin Friberg (Friberg 2000 : 157-160) a pris en compte d’autres critères, à savoir des usages particuliers des sumérogrammes ou de la langue sumérienne. Høyrup et Friberg ont montré que les groupes de Goetze, complétés par les groupes de Suse et de la vallée de la Diyāla, ne reflètent pas seulement des particularités dialectales, mais aussi des cultures mathématiques différentes les unes des autres.

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Pour citer cet article :

Proust, Christine — «Mathématiques en Mésopotamie» — Images des Mathématiques, CNRS, 2014

Crédits image :

Image à la une - Tablette Ist Ni 3703, photo C. Proust, courtoisie Musée archéologique d’Istanbul
img_11682 - Ist Ni 10245, courtoisie Musée Archéologique d’Istanbul, photo C. Proust.
img_11685 - AO 8865, courtoisie Musée du Louvre, photo C. Proust.
img_11686 - Ist Ni 18, courtoisie Musée archéologique d’Istanbul, photo C. Proust.
img_11689 - YBC 4663, courtoisie Yale Babylonian Collection, photo C. Proust.
img_11690 - Plimpton 322, courtoisie Rare Book & Manuscript Library, Université de Columbia, photo C. Proust.

Commentaire sur l'article

  • Mathématiques en Mésopotamie

    le 19 décembre 2014 à 17:09, par Desbois Dominique

    Je cherchais une introduction aux mathématiques du pays d’entre les fleuves, ... merci donc à Christine Proust pour cette belle escapade à Nippur avec ses « maisons des tablettes » et leur art aussi ancien que stimulant du calcul flottant.

    « L’histoire commence à Sumer » (Samuel Kramer), certes mais peut-être aussi en bien d’autres lieux, d’autres temps, d’autres cultures, ainsi que tendraient à le montrer vos travaux.

    Souhaitons que votre appel à lever le voile de notre ignorance sur les relations entre les pratiques des Edubba et la vie des cités suméro-akkadiennes soit entendu.

    J’invite celles et ceux que cet article intrigue à poursuivre leur lecture par un article de la même auteure traitant « Du calcul flottant » (Gazette des mathématiciens, n°138, octobre 2013 : http://smf4.emath.fr/Publications/Gazette/2013/138/).

    Espérant que d’autres « constellations de détails » puissent être découvertes, puis sauvegardées afin qu’elles soient transmises pour la curiosité et - qui sait ?- l’éducation (pas seulement mathématique ...) des générations futures.

    Répondre à ce message

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