Pour une ar­chi­tec­ture de l’entre-deux!

L’entre-deux est un type d’espace trop peu considéré. Pourtant le premier confinement nous a rappelé à quel point ses qualités pouvaient être précieuses. Ces espaces partagés, informels, fruits d’une approche interdisciplinaire et d’un soin quotidien, demandent une attention renouvelée.

Date de publication
08-03-2022

Le coronavirus a changé notre rapport au logement. Confinés, nous avons investi différemment notre habitat : nous nous sommes accoudés longuement à la fenêtre pour saluer des connaissances, avons installé quelques chaises sur le pas de porte pour papoter avec les voisins, distribué des denrées à l’entrée du logement des personnes confinées pour les réconforter, joué ou écouté un concert au balcon, bu une bière à distance dans la cour ou dans le jardin… Ces pratiques, si diverses qu’elles soient, se sont inscrites dans le même type d’espaces, des entre-deux, offrant la juste distance qui préservait la proximité sociale tout en freinant la propagation du virus.

Ce n’est nullement le fruit du hasard. Nous oscillons en permanence entre l’envie de s’ouvrir et celle de se protéger ; nous avons besoin d’une interface entre nous et le monde, d’une variable d’ajustement face aux contraintes spatiales (l’exiguïté d’un logement) ou sociales (l’isolement soudain de la structure familiale). Par cette pression inédite, la pandémie a rappelé l’importance de l’entre-deux, à la fois résilient et dynamique. Il offre des territoires multiples, modulables et appropriables, permettant à l’individu de répondre à ses besoins complexes et à la pluralité de ses figures sociales, et d’opérer les arbitrages qu’implique l’action d’habiter. Il nous invite à dépasser une pratique spatiale polarisée – dedans vs dehors, public vs privé, individuel vs collectif. Quelle que soit sa forme ou son échelle, il assume la fonction de régulation entre l’homme et son environnement spatial ou social, il est le garant de l’homéostasie du système dans lequel nous évoluons au quotidien.

Revoir l’équilibre entre rentabilité et qualité

Ontologique à l’habitat, théorisé à diverses époques de l’histoire de l’architecture et très présent dans une certaine pratique architecturale (comme les coopératives d’habitation), l’entre-deux n’est pourtant pas considéré à sa juste valeur. Comment ne pas être frappé par l’absence de reconnaissance formelle de cet outil spatial puissant, que ce soit dans la réglementation, dans les outils de programmation, dans les concours ou encore dans les processus de développement de projets ?

Certes, c’est un sujet complexe recouvrant des espaces ambigus (par leur statut, leur spécificité ou leur valeur d’usage), imposant une approche holistique et interdisciplinaire, mêlant l’architecture, la philosophie, la sociologie ou encore le droit. Mais il est surtout politique. Privilégier l’entre-deux – un espace à faible valeur locative – implique de revoir l’équilibre entre rentabilité et qualité, d’interroger la hiérarchie entre valeurs immobilières, sociales et culturelles d’un projet.

Profitons de la pandémie pour repenser la programmation, la conception et l’usage des entre-deux. Nous toutes et tous, acteurs et actrices de la production de l’espace – pouvoirs publics, propriétaires fonciers, promoteurs immobiliers et autres acteurs économiques, architectes et urbanistes, sociologues, expert·es de toutes sortes, mais en premier lieu, usagers et usagères – faisons converger nos savoirs et notre expérience pour changer de paradigme. Proposons une vision renouvelée de l’habitat, où l’entre-deux contribuera à faire société autrement.

Texte: Naïri Arzoumanian ; photographies : Daphné Bengoa

L’espace intermédiaire revisité – recherche et exposition

 

Le projet de recherche Entre-deux, l’habitat à l’épreuve du confinement, soutenu par la Fondation Pro Helvetia, observe de manière empirique le fonctionnement des entre-deux dans plusieurs cas d’étude en Suisse et analyse leur processus de production. Une exposition des travaux de recherche, accompagnée de moments de débats, est prévue au Pavillon Sicli, en collaboration avec la Maison de ­l’Architecture (Genève) en septembre 2022. L’association Entre-deux espère ainsi contribuer au développement de ce champ de réflexion, pour penser l’habitat de demain. Dans cette perspective, elle accueille avec intérêt les opportunités d’échanges, de contributions et de réflexions.
Contact: info [at] entredeux-archi.com