Les photos et vidéos consultables sur Internet laissent entrevoir l’ampleur du défi. Dans les artères de Madras, 10 millions d’habitants, sur la côte orientale de l’Inde, les voitures et les tuk-tuks, ces tricycles motorisés qui servent de taxis en Asie du Sud-Est, progressent par à-coups dans une circulation intense. Des nuées de scooters tentent de se frayer un passage, et les piétons marchent le long des barrières, sans cesse menacés par des accélérations soudaines, dans les vapeurs d’essence et les klaxons. Des cyclistes, sur ces images, on n’en voit pas.
Les conséquences de ces embouteillages gigantesques et récurrents s’additionnent les unes aux autres : temps perdu, stress, pollution, bruit, danger routier, etc. Pour décongestionner la ville, rebaptisée Chennai en 1996, les deux lignes de métro mises en service en 2015 ne vont pas suffire. Le gouvernement municipal cherche, depuis quelques années, à encourager le transport non motorisé, autrement dit la marche et le vélo, malgré un environnement urbain qui ne s’y prête pas du tout. Le long de certaines avenues passantes, quelques trottoirs ont été aménagés, aussitôt pris d’assaut par les Madrasiens.
L’impératif de décongestion des villes est apparu au printemps 2020
Au sein de la mission « Smart City » du ministère du logement et des affaires urbaines, à New Delhi, l’impératif de décongestion des villes est apparu, au printemps 2020, comme une évidence, alors que la première vague de la pandémie de Covid-19 frappait la planète. « Des capitales comme Londres ou Singapour ont transformé leurs rues, des pistes cyclables temporaires ont été aménagées partout, se souvient l’architecte Hamza Abdullah, de la mission. Nous étions convaincus de la nécessité d’un changement majeur en matière de mobilité afin de promouvoir un mode de vie plus sain. »
Mais la marche comme le vélo, appelés « modes actifs » dans les pays d’Europe, où ils connaissent un nouvel engouement, ne sont pas vraiment pris en considération dans les villes indiennes. « Ces modes de déplacement sont majoritaires, même si en déclin, et concernent surtout les plus pauvres, ce qui les rend invisibles et marginaux aux yeux des décideurs », observe l’architecte et urbaniste Srinidhi Ravishankar, de la mission « Smart City ».
Une application qui repose sur la « production participative »
Les fonctionnaires ont alors monté une opération inédite, susceptible de produire des retombées efficaces et immédiates. A Madras, capitale de l’Etat du Tamil Nadu, érigée en ville pilote du projet, et finaliste de l’initiative Wellbeing City 2021 (Prix Mieux vivre en ville 2021), les habitants sont invités à télécharger une application d’aide aux déplacements, appelée « Stride ». Ce dispositif novateur, qui repose sur la « production participative », retrace leurs trajets et les amène à signaler à la fois les obstacles, tels que les nids-de-poule ou les carrefours anxiogènes, mais aussi les agréments qu’ils rencontrent. « Le terme stride [« foulée »] symbolise à la fois la marche et le vélo, tout en évoquant une accélération dans la bonne direction », explique Mme Ravishankar.
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