Diesel, tofu et CO2 : le périlleux palmarès des véhicules propres

Trottinette électrique individuelle, vélo mécanique partagé, 4×4 à hydrogène : à mesure que les acteurs de la mobilité innovent, la distinction entre ce qui est polluant et ce qui ne l’est pas se complexifie. C’est le dilemme cornélien des temps modernes : faut-il préférer la pollution atmosphérique venue des pots d’échappement ou l’appauvrissement des sols à travers l’extraction des métaux rares pour les batteries électriques ? C’est l’une des questions qu’a souhaité soulever Bpifrance via son projet de réflexion collective Demain, qui traite, parmi neuf grandes thématiques, le sujet des nouvelles mobilités. Tentative d’éclaircissement parmi les nombreux podiums des véhicules propres qui fleurissent sur le web.

Début 2015, un journaliste d’Auto Moto sort un scoop : prendre sa voiture serait plus écolo que le vélo. Pour appuyer son raisonnement, sa série de calculs ne laisse aucune place à l’imprévu : puisqu’un individu utilise 666,6 Wh d’énergie pour parcourir 100 km, que l’homme « puise sa force dans la viande » et « qu’un kilo de bœuf haché fournit 2,9 kWh d’énergie  », alors notre cycliste consommerait 200 g de CO2 / km. « Comme une Porsche 911 Carrera ! », s’exclame le journaliste. Et d’ajouter que si le boeuf vient du Brésil, alors la consommation du cycliste sera dix fois supérieure à celle d’une Ferrari de 963 chevaux. Quant au tofu, ça ne serait finalement guère mieux, étant donné sa faible contenance énergétique, ce qui contraindrait notre cycliste à en ingurgiter plus d’un kilo.

Aussi hurluberluesque soit-elle, cette analyse n’est pas totalement anecdotique. Depuis la fin des années 2000 et les premiers plans gouvernementaux pour des véhicules décarbonés, les classements des modes de transports les plus propres se suivent sans se ressembler. Pis encore : à chaque nouvelle invention, les cartes sont rebattues. Les trottinettes électriques partagées, dont leurs créateurs annonçaient qu’elles aideraient «  à réduire la pollution et à améliorer la qualité de l’air » ou à se déplacer « tout en éliminant [son] empreinte carbone » ont ainsi rapidement été ramenées à la réalité. Selons certaines études, elles seraient même plus polluantes qu’un bon vieux diesel. Comment s’y retrouver ?

N°3 : L’auto passe (encore) son tour

Elle est l’éternelle perdante des classements : la voiture. Et pour cause : un véhicule de 2 tonnes transportant un passager de 80 kg utilise plus de 95% de l’énergie de son moteur… pour se déplacer elle-même. Mais parler de la voiture au sens large est-il encore pertinent tant le terme couvre de réalités distinctes ? Les émissions de CO2 d’un SUV seront quasiment toujours plusieurs fois supérieures à celles d’un véhicule standard, lesquelles seront à leur tour supérieures à celles d’une voiture électrique.

Par ailleurs, plus le secteur innove, et moins les véhicules polluent : grâce à la technologie de rétrofit, on peut désormais troquer le moteur thermique de son bon vieux coucou pour un rutilant moteur électrique. Les progrès réguliers dans la production de carburants à base d’hydrogène pourraient ainsi faire de nos futures voitures un mode de transport bien plus propres.

 

Mais plus qu’une catégorie de véhicule ou de carburant, c’est aussi le mode d’utilisation de nos autos qu’il faut repenser. En 2019, 50% des trajets automobiles étaient inférieurs à 5 km, et donc facilement reportables sur la marche ou le vélo. Sans compter qu’en semaine, les trois quarts des déplacements en voiture sont réalisés sans passager.

→ Émissions d’une voiture en autosolisme (seul dans le véhicule) : 250 g de CO2/k

N°2 : Mobilités partagées ≠ émissions partagées

Puisque les émissions d’un mode de transport sont intrinsèquement liées à la capacité des véhicules, mettons nos modes de transports en commun ! D’après le Shift Project, le simple partage de voitures au travers de l’autopartage (mise en commun d’un véhicule) ou le covoiturage (mise en commun d’un trajet) permettraient de réduire respectivement de 4% et 30% les émissions de CO2 de nos déplacements.

Du côté des transports en commun – les « vrais » – les chiffres sont encore plus saisissants. D’après l’Ademe, un tramway émet 62 fois moins de CO2 qu’une seule voiture, un métro 54 fois moins et un transilien 35 fois moins.

Et le partage de deux-roues électriques, alors ? Si l’alliance véhicule électrique + véhicule partagé en ferait un élu de choix pour lutter contre la pollution, le free-floating ne permet pas toujours de réduire les émissions de CO2. D’abord parce que nos trottinettes et vélos électriques polluent lorsque nous avons le dos tourné : la production des batteries de ces véhicules électriques, dont la durée de vie se limite à quelque mois, implique l’extraction de terres rares, et certains juicers les alimentent grâce à des générateurs à essence. Mais aussi parce que certaines études ont permis de réaliser que les deux-roues électriques ne se substituent que dans un tiers des cas à la voiture. La moitié des utilisateurs de véhicules partagés aurait ainsi marché ou pédalé en l’absence de ces deux-roues partagés. 

Le partage des véhicules électriques réduisant drastiquement leur durée de vie, mieux vaut ainsi posséder son propre deux-roues. On passe ainsi de 28 jours de durée de vie moyenne à 3–5 ans.

→ Émissions d’une voiture avec trois passagers : env. 100 g de CO2/km

→ Émissions d’une trottinette électrique partagée : env. 120 g de CO2/km

→ Émissions d’un bus diesel : env. 85 g de CO2/km

→ Émissions d’un bus hybride : env. 70 g de CO2/km

→ Émissions d’un bus électrique : env. 20 g de CO2/km

→ Émissions d’une trottinette électrique : de 30 à 60 g de CO2/km selon la durée de vie et hors système de location

N°1 : La lutte écologique à la force des mollets

On s’en doute, c’est encore dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs soupes. Les mobilités mécaniques remportent toujours le classement haut la main : avec 3 à 5 grammes de CO2 / km, une trottinette classique émettra cinq à dix fois moins de CO2 que son homologue électrique, et jusqu’à 50 fois moins que son équivalent électrique en free-floating.

Ça n’est certainement qu’une question de mois ou d’années avant que l’on invente des mobilités à la fois puissantes et vertueuses. Mais pour l’heure, covoiturons, auto-partageons, co-bikons, marchons… et bien-sûr, évitons le bœuf made in Brazil.

et aussi, tout frais...